Le don, la dette et le truand au temps du Covid-19

C’est très intéressant de constater comment deux posts sur LinkedIn – complémentaires et contradictoires – ont put générer chez moi de nombreuses interrogations et peut-être même de l’agacement. Je souhaite partager ici avec vous ma réflexion.

Il s’agit de deux posts rédigés par des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup de respect et d’admiration. Raison pour laquelle je vais commencer par présenter ces personnes dont je vous engage à suivre les publications et les activités ; il s’agit de Virginie Delalande et de Michael Aguilar.

Beaucoup de français connaissent Virginie Delalande car elle était en finale de l’émission animée par Laurent Ruquier « Le grand oral » où elle a montré tout son talent et sa sensibilité avec brio. Sourde de naissance, avec l’appui de ses parents, elle a réussi à acquérir le langage et va devenir ce qu’elle rêvait d’être : avocate ! Alors même que ses professeurs pas toujours coopératifs avaient dit que ce n’était pas envisageable vu son handicap. Cette capacité à se dépasser, à se surpasser, elle la met depuis 2019 au service du plus grand nombre à travers de très belles conférences et du coaching, son nouveau métier. Avec sa voix elle nous montre la voie des possibles, c’est une bien belle personne ! Voici ici le lien vers sa prestation lors de l’émission du grand Oral. Un documentaire sur elle a été réalisé par Laëtitia Moreau pour Arte disponible ici. Et son site Internet ici.

Vient ensuite Michael Aguilar le conférencier professionnel le plus « capé » de France. C’est le plus connu et celui qui génère probablement le plus de conférences en France autour de son sujet de prédilection : la vente. Il assume pleinement son rôle auprès des vendeurs, lui-même étant fier de faire partie de cette caste et il assume le terme de « Vendeur » qu’il préfère à celui de « Commercial ». Il aime à rappeler que s’il n’y avait pas les vendeurs pour vendre les produits d’une entreprise celle-ci ne pourrait pas exister et faire vivre tout ceux qui y travaillent. Il défend avec brio cette profession et surtout propose des conférences très impactantes pour booster leur moral et les motiver quand c’est nécessaire. Les titres de ses conférences sont bien explicites comme ceux-ci : « Les secrets des vendeurs d’élite », « « faisez » la différence ! » Ou encore « marge ou crève ! » Vous pouvez découvrir facilement ses conférences sur Youtube ici. Et sur son site internet ici.

Alors qu’est-ce qui m’a chagriné venant de ces deux personnes pour qui j’ai du respect et de l’admiration ? Le dernier cité, Michael Aguilar, a fait un post au début du confinement sur son agacement de voir tous ces coachs qui proposent leurs services gratuitement et dénaturent par là même la valeur que pouvaient avoir leurs services avant le confinement. Il met en garde contre cette pratique dangereuse et le retour de manivelle possible. Lire ce Post ici.

Alors que nous sommes, dixit le Président, « en guerre », et que nous avons besoin de nous soutenir les uns les autres, l’idée même d’en vouloir à ceux qui proposent des services gratuits m’a paru à ce moment-là totalement incongrue de la part de cette personne que je trouve remarquable et exemplaire par son talent d’orateur et la gestion de son business.
Heureusement Michael met un bémol et il trouve admirables ceux qui aident gratuitement nos soignants, les boulangers qui apportent des viennoiseries, les coachs qui offrent leur soutien à ceux qui souffrent…

Une douzaine de jours plus tard, c’est une vidéo de Virginie Delalande proposant du coaching gratuit à tous et pour tous qui m’a hérissé le poil. Pourtant dans cette vidéo, Virginie avec toute la détermination qui la caractérise nous montre également sa bonté et son attention aux autres. Que cette proposition d’aide soit proposée pour les soignants, pour les aidants, pour les parents tiraillés entre télétravail et école à la maison, super !Et merci Virginie ! Mais pourquoi faire cette offre de coaching à Tous ? Voir sa vidéo ici.

Je reste persuadé de la très bonne intention de Virginie Delalande dans cette proposition et je ne peux que lui être reconnaissant de vouloir aider son prochain quel qu’il soit. J’ai d’ailleurs la conviction qu’à notre dernier jour sur cette Terre, nous seront jugés non pas sur ce que nous avons vendu, produit mais sur les dons que nous avons pu faire. Don de notre savoir, don de nos compétences, don de notre temps, don de notre amitié, don de notre amour et des dons d’espèces sonnantes et trébuchantes à des œuvres caritatives quelles qu’elles soient !

Alors qu’est-ce qui me gène ?

Est-ce de donner, de rendre service, de m’engager comme bénévole dans ce temps de confinement : Non !
Est-ce de vouloir préserver mon business, de me vendre pour continuer d’exercer mon métier de coach dans ce temps de confinement : Non plus !

Je suis heureux de toutes les initiatives de gratuité comme celles proposées par

ICF France Solidarité d’offrir du coaching gratuit aux soignants,
Les Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens qui proposent un soutient gratuit aux entrepreneurs,
Par des professionnels comme Virginie qui proposent différentes vidéos gratuites de formation, de conseil ou du coaching,
Par des spécialistes qui proposent des Webinars gratuits pour se former, pour supporter le confinement et pour se préparer à en sortir plus fort,
Par des conférenciers qui proposent des lives et des émissions gratuites de partage de bonne humeur ; entre autres celles faites par un bon nombre de consœurs et confrères de talent de l’Association Française des Conférenciers Professionnels,
Les sportifs et professeurs qui proposent des cours de gym gratuits pour garder la forme,
Des sophrologues et des pros du yoga qui proposent des séances gratuites de relaxation,
Des chanteurs connus qui nous offrent gracieusement des concerts « live »
Des restaurateurs et grands chefs qui, en se servant des stocks qu’ils ont, offrent des repas gratuits aux soignants.
Merci à chacune de ces institutions et chacune de ces personnes pour leur initiative et leur don.

Oui toutes ces initiatives sont belles et nous montrent que l’Homme est bon par nature et que la France est belle dans l’épreuve, elle l’a déjà démontré même dans un passé récent. La France est belle quand elle se sert les coudes et que l’entraide est au rendez-vous.

Alors quoi, quel est le problème ?
Le problème c’est que quelle que soit l’intention, elle peut créer de la dette !

L’intention :

Heureusement, nous agissons le plus souvent vis à vis des autres avec de bonnes intentions, en pensant à ce qu’il y aura de positif pour l’autre dans notre action. Malheureusement, il est possible que le résultat final ne soit pas celui attendu. Nous pensons bien faire parce que cela vient du cœur et finalement les choses les choses se retournent contre nous et nous découvrons que nos actes causent du mal alors que nous voulions le bien.
Chacun de nous connaît cet adage « L’enfer est pavé de bonnes intentions »
Le film « Les bonnes intentions » de Gilles Legrand avec Agnès Jaoui est excellent sur ce sujet de la bonne intention et de la dette.

La dette psychologique

Le concept de la dette vient de Jacques Lacan. Notre première dette, nous la contractons envers nos parents qui nous ont donné la vie. Et dans notre position d’enfant, nous pouvons nous sentir des obligations envers eux. C’est ainsi que certains s’épuiseront à vouloir rembourser cette dette en mettant en danger leur vie affective, leur couple, leur carrière ou leur épanouissement personnel. Ces dettes le plus souvent inconscientes nous poursuivent également dans notre vie professionnelle où les conflits de loyauté sont également présents. Untel qui ne quitte pas une société dans laquelle il ne s’épanouit plus parce qu’elle qui lui avait donné sa chance à ses débuts, un autre qui ne dénonce pas les malversations de celui qui lui a permis d’avoir son poste.

Une dette acceptée, et son remboursement, renforcent les liens sociaux et affectifs. Marcel Mauss montre parfaitement ce mécanisme (appelé Potlatch) dans son « Essai sur le don ».

Alors oui, très probablement, d’autres qui aujourd’hui offrent leurs services espèrent bien un jour avoir un remboursement de cette dette qu’ils ont créée. Pendant le confinement, je t’ai offert des conseils, maintenant que tu as retrouvé ta liberté et tes moyens, tu peux bien m’acheter mes formations ! Et c’est de bonne guerre (tient encore elle) !

Alors qu’est-ce qui est gratuit et qu’est-ce qui ne l’est pas ?

En publiant cet article, au-delà de partager mes réflexions, je cherche pour ma part à entretenir ma visibilité sur les réseaux. J’espère être lu par des prospects potentiels et me rappeler au bon souvenir de mes clients. Trois articles en trois semaines, je n’avais jamais fait cela auparavant ! En somme une histoire de commercial, de marketing ou de social selling, finalement mon article n’est donc pas tout à fait gratuit !

Est-ce que le soir à 20h00 quand nous applaudissons nos soignants, au-delà de l’admiration que nous avons pour leur investissement et leur abnégation, c’est une reconnaissance totalement gratuite ? Est-ce que ce ne serait pas aussi une manière pour nous d’honorer la dette que nous avons envers eux, nous qui sommes « confortablement » confinés chez nous alors qu’ils sont au front face au virus ?

La dette émotionnelle :

La dette émotionnelle comme la dette psychologique ou la dette matérielle produit stress et culpabilité. Cette dette apparaît particulièrement lorsque l’on s’engage à réaliser quelque chose et qu’en définitive on ne se tient pas son engagement. Le plus souvent, si vous ne tenez pas votre engagement, des messages négatifs vous envahissent, vous poussent à vous sentir coupable. Je me suis engagé à donner du temps de bénévolat dans une association et n’arrivant plus à en dégager assez, je réduis cette activité, mais je me sens coupable. J’offre de mon temps pour faire des vidéos gratuites en ce temps de confinement, mais quid de ce que je ferai quand nous serons dans le monde « d’après »…
Nous voyons que ce sujet est bien complexe et je n’aborde pas ici un sujet connexe qui est le Triangle de Karpman : Sauveur – Bourreau – Victime.

Moi qui suis un adepte d’Emile Coué, je sais bien que ses causeries (ateliers/conférences) étaient toujours gratuites. Il vivait de sa pharmacie et ensuite des rentes de celle-ci, mais ne faisait jamais payer les conseils et les guérisons qui se faisaient en dehors du cadre de la pharmacie. Quant aux conférences qu’il a pu faire aux États-Unis et qui étaient payantes, il a exigé que les bénéfices soient offerts à des œuvres, lui même refusant d’être payé pour ses interventions. Je vous livre ici trois de ces aphorismes en lien avec notre sujet :

Plus vous faites de bien aux autres, plus vous en faites à vous-même.
Celui qui possède de grandes richesses devrait en consacrer une grande partie à faire du bien.
L’altruiste trouve sans le chercher ce que l’égoïste cherche sans le trouver.

Alors ?

Pour ma part, avec Pygmalion Communication je propose des sites internet de contenu gratuits qui servent de support à mes stagiaires. Ils sont accessibles à tous, sans code d’accès et sans récupération préalable d’un email ou de coordonnées.

Notez d’ailleurs que lorsqu’un site internet vous offre par exemple des livres, à la condition que vous remplissiez une fiche de renseignements et/ou laissiez votre email, ces livres ne sont en fait pas gratuits : ils valent même pour certains moins que vos données personnelles. On dit d’ailleurs : « quand c’est gratuit, c’est vous le produit ! ».

Et je ne parle pas ici des vrais Truands sur Internet qui aujourd’hui profitent de la situation pour vous vendre à des prix exorbitants du gel hydro-alcoolique, des faux masques, de la fausse chloroquine ou du coaching bidon pour réaliser vos plus grands rêves !

J’offre également avec plaisir mes compétences pour former des chômeurs à la recherche d’emploi ; cela me prend quelques samedis matin chaque trimestre et c’est à destination de personnes qui n’auraient pas les moyens de s’offrir mes services. Au début de mes activités de formation, j’offrais mes stages aux DRH et responsables formation pour qu’ils viennent découvrir mon approche et ma pédagogie… Ceux qui n’ont pas payé ne m’ont jamais fait travailler ! C’est devenu plus clair pour moi que ce n’était pas la bonne stratégie !

Pour ce qui est des produits que j’ai l’habitude de vendre – coaching, formations et conférences – et tant que ce sera pour le public habituel auquel je m’adresse, ces prestations ont une valeur et je n’ai pas envie de les brader ou de les donner. J’échange un service ou une prestation contre ce qui me semble représenter sa juste valeur ; cette valeur est aujourd’hui évaluée en euros, elle aurait pu en d’autres temps l’être en sel, blé ou en poulets !

Pour ce qui est de ce que je suis prêt à offrir, je sais encore plus aujourd’hui ce que je peux transmettre gracieusement et faire en sorte de ne pas créer de dette ni pour moi ni pour les autres.

Oui Virginie, le don a du bon et je crois à ta sincérité et à l’honnêteté de ta proposition et merci de m’avoir permis d’avoir cette réflexion personnelle sur les limites pour moi de ce qui peut être gratuit ou non.
Oui Michael, vendre est bon et nécessaire et merci de m’avoir permis d’avoir cette réflexion personnelle sur ce qui est pertinent de vendre et sur ce qu’il est possible pour moi de donner.

Merci donc à tous les deux de m’avoir titillé et poussé à cette réflexion. Dans nos échanges et nos interactions, le don et la dette sont omniprésents dans les liens que nous tissons et que nous créons les uns avec les autres. Invitation à déjeuner ou cadeau qui se pratiquent dans la vie professionnelle. Comment je comptabilise ou non ces échanges ? Est-ce que je cherche à être « gagnant » ? Est-ce que je suis prêt à être « perdant » ? Est-ce que mon don ne fait pas de moi, en réalité, un petit « truand » ? Nous pouvons croire que nous sommes dans le don alors que nous nous laissons prendre par ce couple échange/dette.

Cela ne signifie pas que le vrai don n’existe pas, mais tout simplement qu’il est un geste rare…
Entre ce que l’on peut donner et ce que l’on va vendre, c’est une ligne de crête à tenir et elle est difficile à cerner !

Merci à vous, Virginie et Michael, de m’avoir offert le sujet que je vais pouvoir apporter à ma prochaine supervision de coach. Supervision qui, même si elle en visio en ce temps de Covid-19 reste payante ; et comme je vais payer ma superviseur, cela m’évitera d’être en dette vis-à-vis d’elle !

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